La concertation pratique vertueuse de réconciliation ou plutôt entreprise de persuasion ?
Les procédures de concertation se sont développées de manière quasi exponentielle ces dernières années. Répondant parfois à un besoin renouvelé de démocratie ou permettant dans des cas difficiles de partager la responsabilité de décisions à prendre en situation d’incertitude, elles prennent des formes et appellations variées : participation du public, conférences de citoyen, débats publics, concertations, … Inscrites au sein même des filières de la politique publique en matière d’environnement, ces démarches sont dorénavant des références en matière de théorie d’actions publiques. Sous couvert de participer à une meilleure lisibilité des projets et politiques et de donner une place plus grande aux acteurs de la société civile dans les modes de gouvernement, concerter est semble-t-il, la condition nécessaire d’une bonne gouvernance.
Ces pratiques se traduisent, aujourd’hui, par des demandes et des attentes citoyennes en matière de concertation dans de nombreux champs de l’action publique à tel point qu’au delà de la définition des projets et aménagements et de leur appropriation par les populations, la concertation devient un critère d’évaluation des politiques publiques. Les choix publics sont ainsi qualifiés au regard de leur transparence et de la participation citoyenne aux décisions qui rend la concertation souvent incontournable pour qui veut bien faire.
Les conséquences de telles pratiques induisent des modifications importantes pour les divers gestionnaires publics. En effet, que cela soit dans le domaine de la construction des infrastructures de transports (rails, routes, aéroports, …) ou des réseaux électriques à très haute tension qui ont été les premiers concernés par ces évolutions ou encore plus récemment dans celui de la gestion des sites naturels protégés, les gestionnaires sont conduits à adapter leurs systèmes de décision.
Nous nous intéressons pour notre part particulièrement aux gestionnaires des politiques environnementales. Les dispositifs et procédures de participation couvrent de nombreux aspects de ces politiques : les Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux, Natura 2000, les renouvellements de chartes des Parcs Naturels Régionaux, ou encore les nouvelles chartes à concevoir pour les Parcs Nationaux (loi du 14 avril 2006). Dans tous les cas, les gestionnaires de ces politiques qui exerçaient jusque là leur métier dans une logique sectorielle et technique sont dorénavant conduits à développer de nouvelles compétences et de nouveaux discours. La concertation est pour eux avant tout un défi professionnel.
En effet, leurs relations avec les autres acteurs du territoire sur lequel ils interviennent étaient caractérisées par la consultation lors de l’élaboration des documents réglementaires, et par la négociation éventuelle de compensations, de pratiques ou d’usages. C’est en référence à la gestion environnementale que s’organisaient les discussions autour de dimensions techniques mobilisant le savoir faire des compétences du gestionnaire. Le développement des démarches de concertation vient perturber ces modalités relationnelles et conduit ces gestionnaires à porter dorénavant une vision plus territoriale de leurs missions, sur un espace élargi aux communautés parties prenantes à la concertation. A l’occasion de ces temps de débat, les gestionnaires sont ainsi amenés à replacer leur action sectorielle et environnementale au sein d’une réflexion plus large, territoriale et politique, afin d’en démontrer la pertinence et l’intérêt général dans le contexte plus ouvert d’une instance de concertation nécessairement élargie. Ce travail demande des compétences spécifiques et des connaissances dont ne disposent pas toujours ces gestionnaires, ce qui rend difficile l’exercice maîtrisé de la concertation, même si l’on en est l’animateur.
Par ailleurs, si la pratique de la concertation pousse à sortir d’une pure démarche sectorielle pour converser avec le plus grand nombre, il faut également que le gestionnaire de l’environnement ne perde pas de vue sa mission environnementale et les objectifs qu’il poursuit à cet égard. Comment s’assurer alors de l’efficacité environnementale de ces démarches de concertation ?
AScA s’est intéressée depuis plusieurs années à ce mouvement d’information, de consultation et de concertation à l’occasion d’études de Schéma d’Aménagement et de Gestion des Eaux (SAGE) ou encore de programmes de recherche du ministère de l’écologie portant sur les transports (programme PREDIT) ou sur des cas de parcs nationaux et de terrains du conservatoire du littoral (programme Concertation Décision Environnement). Ces travaux nous ont conduit à porter un regard stratégique sur le rôle joué par ces temps de concertation dans la mise en œuvre des politiques environnementales. Ces procédures sont parvenues aujourd’hui à un stade de maturité qui appelle un bilan évaluatif et critique de ces démarches en tant que moyen de mise en œuvre de politiques d’environnement. Quels risques ou opportunités présentent notamment ces concertations au regard des enjeux écologiques ? Comment les processus de décision des gestionnaires de l’environnement, leurs politiques d’embauche ou de formation sont-ils influencés par ces évolutions de pratiques ?
Au delà d’une approche idyllique de la concertation envisagée comme la recherche d’un consensus autour de politiques publiques, il nous semble qu’il faut prendre la mesure de la fonction stratégique de ces procédures. Les cas que nous avons étudiés montrent ainsi que ces moments d’échange sont le lieu où se jouent des efforts de conviction et d’argumentation qui peuvent aider à la mise en œuvre des politiques et projets. Il faut alors penser la place et le rôle dévolus à ces procédures au sein d’une action publique plus large, comprenant, certes des temps de concertation mais également d’autres modalités d’intervention — négociations bilatérales, actions de gestion, recours juridique, ou encore communication.
Christophe Bouni, AScA